Je croyais faire un travail sur des frontières exceptionnelles !
Quand, à Berlin en 2016, il m’est apparu que « le mur est un kintsugi ! » je savais que, de la fracture de la porcelaine à la chute des frontières des empires idéologiques, je créais des ponts.
J’avais presque oublié que la même émotion m’avait frappé, en janvier 2015 à la vue de la photographie d’un kintsugi. Que l’intuition avait été immédiate de ce que L., un de mes modèles, en était un. Que ses cicatrices étaient au moins autant la trace de la blessure que celle de la réparation. Que le lieu de cette tension et de leur équilibre méritait d’être rehaussé d’or.
J’aurais dû aussi remarquer que, depuis 2009, j’avais fait de la peau mon sujet principal, sinon exclusif. Que j’avais déjà commencé, intuitivement, à l’explorer dès 2005. On m’a prétendu par la suite qu’il devait s’agir d’une volonté de rester « à la surface » (et l’incapacité ou la peur de rencontrer la profondeur) ; certains, dans mon esthétique, avaient aussi pointé la récurrence d’un horizon. Quand je traçais un chemin, certains y voyaient la carte, et la frontière. Et quand je délimitais le territoire, il leur semblait y voir le chemin. La ligne n’a jamais été claire.
Personne non plus n’avait remarqué que, depuis 2008 au moins, mais j’en retrouve des traces auparavant, au cours de mes voyages j’avais photographié nombre de SDF endormis. Pas tant pour documenter leur condition que fasciné par ce qui les enveloppait, entre cocon et linceul. La simplicité et l’ambiguïté de leur position.
Je n’ai pas cessé de photographier mes obsessions. Leur donnant un nom de projet le plus souvent. Closer, pour le travail sur la peau. Kintsugi, pour celui sur la cicatrice. Vanishing Borders, pour les frontières. Mon travail sur les SDF ne me semblait pas encore (dé)fini, il était donc non titré. Dans ma tête j’y pensais en termes de cocon, de chrysalide. Sans ignorer le risque mortel de la métamorphose.
Les projets se sont croisés aussi : le kintsugi sur la frontière ; le modèle sur la frontière ; la frontière sur la peau. Intuition très vague d’abord de liens entre les choses. Incapacité en même temps que volonté de les mettre à jour. Conscient bientôt de ce qu’il devait y avoir quelque chose. Que je ne faisais que me révéler à moi-même.
Il m’a semblé que ces jours, ces semaines et ces mois que nous venons de passer ont permis, un peu, à chacun de partager cette expérience de la frontière, des frontières.
Et qu’à ce souvenir de ce que chacun à vécu mes questions pourraient peut-être porter.
Et si nous pensions à la frontière comme à une maison ? Quelle serait la vue par la fenêtre et qui en franchirait la porte ?
Et si nous pensions à la frontière comme à une peau ? De quelles caresses serait-ce l’invitation ?
Auteur : |
Charles LEMAIRE |
Catégorie : |
Photographie |
Format : |
Carré (21 x 21 cm) |
Nombre de pages : |
156 |
Couverture : |
Souple |
Reliure : |
Dos carré collé, cousu au fil de lin |
Finition : |
Brillant |
ISBN : |
978-2-8083-1765-8 |