Le Livre en papier • Numéro 501 Un crime argentin de Pierre Franchimont

Longtemps, Lucas et Olivia ont été des étrangers l’un pour l’autre. Ils ne se connaissaient pas et, pourtant, ils sont frère et sœur. Leur destin s’est écrit sur l’autel de l’imposture et de la trahison. Ils ignoraient que leurs parents biologiques furent enlevés et assassinés par la junte militaire au pouvoir en Argentine (1976-1983). Ils ne savaient pas que leurs parents adoptifs furent choisis pour leur inculquer l’idéologie voulue par la dictature du général Videla. Parce qu’il voulait prétendument combattre le communisme et la gauche sous toutes ses formes, le processus de réorganisation nationale aboutira à la disparition de plusieurs dizaines de milliers d’hommes et de femmes innocents. Dans toutes ses composantes, la société argentine subira une large fracture entre partisans et opposants au régime. Ce crime d’Etat plongera l’Argentine dans le chaos et fera de ce pays l’un des régimes les plus violents d’Amérique du Sud.

Au travers de la vie de Lucas, se conjuguera l’histoire de quelques 500 bébés volés à leurs parents par la dictature. Lucas sera le témoin de tous ces enfants pour qui, les mots « papa » et « maman » résonnent encore douloureusement. Qui suis-je ? Quel est ce prénom qui ne m’appartient plus ? Mon père et ma mère sont-ils devenus des étrangers ? Puis-je continuer à aimer un père qui m’a menti durant toutes ces années, s’appropriant mon identité ? Dois-je aimer mes parents biologiques que je n’ai pas connus ? Confusion des sentiments, déconstruction identitaire et réappropriation de soi constituent le drame absolu de tous ces enfants. Ils ont dû oublier qui ils étaient et apprendre à devenir qui ils auraient dû être.

S’ils peuvent désormais écrire un nouveau chapitre de leur existence, ils le doivent à toutes ces personnes qui, durant ces années de plomb, ont défié le pouvoir. Qu’ils soient médecin, ami, frère, sœur, oncle, père, grands-mères ou encore professeur, ils ont risqué leur vie pour faire triompher la vérité. Rendre à ces enfants leur identité et dénoncer au monde ce crime de l’Etat argentin a été leur plus noble dessein. Certains ont dû fuir tandis que d’autres l’ont payé de leur vie. Tous l’ont fait pour une seule et unique raison, rendre à la nation argentine l’espoir d’une société débarrassée de ses pires maux. En 1983, la démocratie fera son retour en Argentine. Au terme d’une série de procès, la justice condamnera les principaux membres de la dictature, jugés coupables d’avoir organisé, enlevé, torturé et assassiné au moins 30.000 personnes. De nombreux enfants ignorent encore à ce jour qui ils sont.